1 200km à pied, ça use, ça use...
Dernière mise à jour : 13 janv.
Nous sommes le 16 novembre 2022, il est 15h00 pile, et je touche le panneau de signalisation d’entrée de la ville d’Hendaye. Un pas de plus, et je rentre dans la ville que j’ai rêvé d’atteindre depuis le 28 septembre, date du début de ma marche. Un pas de plus, et je serai arrivé. Je prends un certain temps à regarder ce panneau tout gardant ma main collée dessus. Il m’aura fallu 51 jours pour l’atteindre, dont 32 nuits en bivouac, 6h30 de marche en moyenne avec ma maison de 24kg sur le dos.
Je franchis le panneau, ça y’est je suis arrivé. Je me dirige sur le front de mer, et je fais ce dont j’ai rêvé depuis le début de ma marche. Je mets ce t-shirt que l’on m’a offert avant mon départ. Je m’étais promis de le mettre seulement quand je serai arrivé. Le moment venu, je pense à tous ces soirs passés en tente, lorsqu’en me changeant pour me mettre dans mon sac de couchage, je le voyais, au fond de mon sac de vêtements, pliés comme je l’avais fait dans ma chambre d’hôtel à Roscoff, au moment de la dernière vérification de mon sac avant le départ. Et chaque soir, il me rappelait les personnes qui me l’ont offert. Un baume au cœur qui a été de nombreuses fois le bienvenu. On sous-estime beaucoup trop l’importance de petits gestes, petites attentions.

Ensuite, je m’assois sur le muret donnant sur la plage, mon sac sous mon bras, le serrant comme si je lui disais « ça y’est, on a réussi ». Je me laisse bercer par le bruit et la danse hypnotisante des vagues. Ce bruit qui ne m’a pas quitté depuis Saint Brévin les pins, ville à partir de laquelle j’ai vu l’océan atlantique pour la première fois, après deux semaines de marche à traverser le Finistère. Cette eau que j’ai vu changer de nuances de couleur en fonction du temps, de la région, ce sable sur lequel j’ai marché des heures, des jours, à contre vent parfois, avec un mal de pied à en pleurer. Cette plage me fait penser à toutes celles que j’ai vues, celles sur lesquelles j’ai planté ma tente, eu la chance d’assister à des couchers de soleil incroyables et des levers de soleil non moins magnifiques.
Je repense aussi aux moments de doutes, aux moments pendant lesquels je n’arrivais plus à percevoir l’intérêt de mon entreprise. Sans oublier ces moments de profonde solitude. Et contrairement à ce que l’on peut penser, je ne me sentais jamais seul lorsque je dormais dans la forêt, près du canal Nantes – Brest ou pendant ma marche sur des lignes droites déserte. Ce sentiment me prenait plutôt au milieu des autres, dans un restaurant, un bar de village, là ou la foule est présente, les gens s’activent, parlent, rigolent, s’engueulent. Par moment, toutes ces interactions me renvoyaient à ma propre situation. J’étais là sans être là. Un spectateur du monde.
Tout en continuant de fixer les vagues, j’essaye de me souvenir de mon voyage, de réaliser ce que je viens de terminer. Mais rien à faire, les souvenirs me viennent par flash et je n’arrive pas à tout connecter. Je suis perdu. Même trois mois plus tard, en pleine nuit, au moment où j’écris cet article, je dois avouer avoir du mal à tout remettre dans l’ordre.
Ce pèle mêle d'images me renvois alors à un passage de "Longue Marche" écrit par Bernard Ollivier, qui en quelques mots à réussi à résumé l'essentiel de ce qui me traverse à ce moment précis :
" La marche est porteuse de rêves. Elle s'accommode mal de la réflexion construite. Cette dernière est plus à l'aise dans la contemplation, les yeux mi-clos, le corps posé sur le mol oreiller d'un sable fin, faisant la méridienne à l'ombre d'une pinède. La marche est action, élan, mouvement. Dans l'effort, sans cesse sollicité par les mutations imperceptibles du paysage, la course des nuages, les sautes du vent, les flaques de la route, le frémissement des blés, la pourpre des cerises, l'odeur des foins coupés ou des mimosas en fleur, l'esprit s'affole, se fractionne, répugne au travail continue. La pensée butine, vendange, moissonne des images, des sensations, des parfums qu'elle met de côté, pour plus tard quand, le nid regagné, sera venu le temps de les trier, de leur donner un sens."

En comprenant que la digestion de tous ces souvenirs va me prendre du temps, je me mets alors à penser à mes proches qui ont fait en sorte d’être la personne que je suis aujourd’hui. Ces personnes qui auraient aimé être là, mais qui n’ont pas pu se rendre sur place, ces personnes qui ne sont plus là, mais qui je suis sûr, me voient d'où ils sont et, bien sûr, toutes celles qui pendant ces 51 jours, ont suivi mes aventures, envoyé des messages d’encouragements ou eu une pensée pour moi (encore une fois, on sous-estime trop l’impact d’une petite attention).
À mélancolie de la fin de voyage se mélange alors un sentiment de profonde reconnaissance. Je suis chanceux. Je suis heureux et triste à la fois. Sans rien contrôler, les larmes viennent brouiller ma vue. Je les laisse couler, malgré les passants autour. Les gens pourront se moquer quand ils feront 1 200km à pied.

Enfin, épuisé et sonné, je demande une nouvelle fois que l’on me prenne en photo, avant de rejoindre mon hôtel, avec mon t-shirt et mon sac à dos sous le bras qui aura été mon meilleur compagnon pendant ce périple (il était d’ailleurs temps que la cohabitation cesse, je dois dire que je ne le supportais plus). Après avoir rempli son devoir, la dame me rend alors mon appareil et s’en va le plus simplement du monde, sans un sourire, ni une question. Je dois dire m’être senti plutôt vexé.
Un homme avec une barbe hirsute, un sac à dos énorme, et un t-shirt indiquant «1200km » et elle n’a même pas une question à me poser ? Quel manque de curiosité !